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Sur le macadam, une interview de Anne Berest, l'auteur de la carte postale, prix Renaudot des Lycéens 2021 pour sa venue à Londres.


"c’est comme si mes personnages me guidaient et me disaient “c’est ce livre que tu dois lire”, ou bien encore “c’est cette personne que tu dois interviewer”.


"Ce n’est pas mon livre, mais ce livre semble avoir été écrit à travers moi."


"Nous, la troisième génération nous savons que nous sommes la bascule entre un monde avec témoins et un monde sans témoins." Anne Berest.


Anne Berest l'Interview pour London Macadam
Anne Berest l'Interview pour London Macadam

Anne Berest est à Londres dans le cadre du festival Beyond Words festival de Littérature à l'Institut francais pour la sortie en anglais de son roman "la carte postale", prix Renaudot des Lycéens 2021 et succès international. Elle sera aussi samedi 18 mai avec The Hexagon Society et, en signature à Londres.


Une interview exclusive London Macadam realisée par Eva Zuili. Chut, on écoute.


London Macadam: Une carte postale arrive un jour avec 4 noms et un timbre à l’envers. Ces noms, votre mère les connait c’est ceux de vos aïeux, morts en déportation à Auschwitz Birkenau. Comment vous êtes vous emparée de cette histoire de famille 60 ans après?

Anne Berest: En effet, ma mère reçoit cette carte postale en 2003 et elle n’a aucune idée de qui a pu l’envoyer. Et cette carte postale nous effraie pour pleins de détails que j’explique dans le livre, l’image de l’Opera Garnier qui renvoie aux heures sombres de l’occupation, ce timbre à l’envers, l'écriture qui est si étrange. On est en 2003 à ce moment là et comme nous ne savons pas quoi faire ni penser de cette carte postale, nous la rangeons dans un tiroir. Nous n’y pensons plus, c’est comme si on la sortait de notre esprit. Et c’est presque 18 ans plus tard, ma fille a 6 ans, et à l'école elle est victime d’une remarque antisémite et quand elle me le raconte, quelque chose en moi vient comme un disque qui s’enraye c’est à dire qu’au lieu d’aller à l'école régler le problème, est revenue en ma mémoire la carte postale, comme une urgence à régler alors qu’il s’était passé 18 ans.


Le timbre à l’envers est un code de la résistance , comment l’avez vous appris ?

Pour résoudre cette énigme, j’ai mené une enquête comme si j'étais un détective aux côtés de ma mère qui m’a beaucoup aidée. Ainsi, il m’a fallu utiliser le moindre détail de cette carte postale et je me suis posée beaucoup de questions sur le fait que le timbre soit à l’envers. Dans mes recherches, je vais découvrir que pendant la résistance, un timbre collé à l’envers était un code de résistance entre les gens. si vous envoyez un timbre l’envers ca voulait dire ‘ne crois pas ce que je dis dans la lettre mais il faut lire l’inverse de ce que je t’écris’.


Racontez nous ce travail de recherche, d’archives, ces documentaires, dans lequel vous vous êtes plongée?

Pour comprendre ce qui était arrivé, il a fallu que j’apprenne à connaitre chacune des personnes présentes sur la carte postale, donc mes ancêtres, dont je ne savais rien avant de commencer l'enquête, ni quels étaient leurs métiers, ni de quelles villes ils étaient partis.

Pour faire des recherches sur eux et découvrir qui avait envoyé cette carte postale, c’était forcement quelqu’un qui les connaissait… Ma mère pendant quinze ans avait fait des recherches …

Qu’est ce que faire des recherches sur des morts? Vous partez d’une adresse, d’un nom, vous parcourez les archives. Ma mère et moi sommes d’abord allées dans les archives départementales puis préfectorales puis enfin nationales…

En France, quand on commencé à découvrir les archives, c’est monde labyrinthique plein de trésors.

Vous êtes comme un archéologue et vous allez découvrir des informations. Aujourd’hui, grâce à internet vous avez des sites où l’on peut faire son arbre généalogique car faire des recherches c’est être un détective privé. J’ai eu la chance, lors de mon travail de fourmis, de trouver des éléments qui nous ont permis à ma mère et à moi de reconstituer la vie de ces gens.

Ce que je voudrais dire à tous ceux qui font un travail de recherche pour un arbre généalogique c’est que quand on cherche, on trouve. On finit toujours par trouver des éléments même dans notre cas où les gens étaient morts dans des camps de concentration et où les traces de leurs vies semblaient avoir été effacées. Il ne faut pas se décourager, il faut croire aussi au mystère, au destin, il faut suivre son instinct. Et petit à petit, vos ancêtres vont vous guider sur le bon chemin.


Vous écrivez: “j’avais l’impression que les personnages me parlaient”. Que vous disaient ils?

Par exemple, lorsque j’avais le choix de lire un livre ou un autre c’est comme si mes personnages me guidaient et me disaient “c’est ce livre que tu dois lire”, ou bien encore “c’est cette personne que tu dois interviewer”. Même des choses anodines comme “tu dois aller voir ce documentaire qui n’a rien à voir avec ton sujet mais tu dois y aller”, et soudain j’avais une idée.


Vous évoquez le silence de la seconde génération et le lien qui vous lie avec la génération suivante. Êtes-vous cette génération d'Après et quel devoir pensez-vous avoir?

J'appartiens à ce que l’on appelle la troisième génération, c’est à dire celle de mes grands parents qui ont traversé la guerre. Cette troisième génération est selon moi très particulière, c’est celle qui va faire le lien entre un monde dans lequel nous avons grandi et où existaient les témoins que nous avons fréquentés. Ils sont venus dans nos classes, ont été nos grands parents, étaient des voisins, ou encore étaient les grands parents d'un ami de la classe. On vivait dans un monde où les témoins étaient présents et pouvaient parler de ce qu’ils avaient vécu.

Nos enfants, c’est à dire la quatrième génération, vont vivre dans un monde sans témoin, et un monde sans témoins est un monde très dangereux qui peut permettre des flambées et un retour du négationnisme. Nous, la troisième génération nous savons que nous sommes la bascule entre un monde avec témoins et un monde sans témoins. C’est pourquoi cette génération est très investie dans la transmission.


Vous dites que ce livre vous a obligé à agir dans votre vie de citoyenne et à prendre des décisions. De quelles façons?

Sans cesse quand j'écrivais le livre, je me demandais qu’aurais-je fait moi pendant la guerre? Quelle personne j’aurais été? C’est facile de juger avec le recul de l’histoire . Ce livre m’a donné une urgence personnelle de me poser ces questions… Ce livre m’a obligée à m’inscrire dans une démarche citoyenne et humaine pour accomplir des actions concrètes . Je ne veux pas dire lesquelles car je ne fais pas ces actions pour les raconter mais pour être en accord avec mes descendants et moi-même.



Votre livre a reçu plusieurs prix prestigieux dont le Goncourt américain, le prix Renaudot des lycéens et était en lice pour le Goncourt français. Comment expliquer un tel succès?

Un succès ne s’explique pas, c’est mystérieux et si on pouvait le comprendre et l’expliquer, on pourrait sans doute le reproduire.

Un succès est un miracle. Simplement, j’ai écrit ce livre pour la jeunesse, en pensant à des jeunes gens de 18 ou 20 ans… c’était eux mon horizon de réception.

Je voulais écrire un livre très clair sans besoin d’aller chercher un mot dans le dictionnaire, où j’avais la volonté de bien expliquer les choses, une volonté de transmission, un livre qui soit avec des fenêtres ouvertes pour les jeunes adultes.

Donc c’est peut être ce qui a permis de toucher un large public. Encore une fois, ce succès est un miracle qui ne s’explique pas et chaque jour je m’en étonne. Je ne suis pas du tout blasée mais au contraire, je suis émerveillée chaque jour que ce livre soit lu dans le monde entier. Ce n’est pas mon livre, mais ce livre semble avoir été écrit à travers moi. Encore une fois, ce succès n’est pas le mien, il est la parole de tous les témoignages de tous les textes que j’ai lus, c’est comme si il y a mille livres dans ce livre.


Pensez-vous faire une adaption de votre roman La carte postale au cinéma ?

Non, mais je suis très honorée d’avoir reçu beaucoup de propositions merveilleuses d’adaptation au cinéma en France comme à l’étranger.

Je ne souhaite pas qu’aujourd’hui ce livre devienne un film parce que c’est trop tôt. J'aime l’idée que ce livre soit dans la tête de chaque lecteur qui s’est inventé les visages de ces personnages et les paysages de ce récit.

Pour le moment, je n’ai pas envie que d’autres images viennent interférer pour les lecteurs.


Des projets pour 2025?

Oui j’écris des scenarios dont je ne peux pas parler. J'écris également mon prochain livre qui devrait normalement sortir en 2025.

Nous les écrivains avons une superstition, on n’aime pas parler précisément de nos livres avant qu’ils ne sortent. Mais je peux vous dire que ce sera encore une saga familiale. Comme avec Gabriele, comme avec La carte postale, je continue à éclairer une branche de mon arbre généalogique non pas pour parler de moi ou de ma famille mais pour parler d’un moment de l’histoire de France. C’est à dire qu’à travers des personnages de ma famille, je ferai un récit épique de l’histoire de France.

Avec ma sœur Claire, dans Gabriele, que nous avons écrit ensemble, nous voulions raconter le début du XXeme siècle dans le milieu de l’Art,  dans La carte postale, c’était l’histoire de l’occupation et de la guerre et mon dernier roman va nous emmener ailleurs en France sous un autre thème et une autre époque, mais toujours avec des branches de ma famille.


My London Macadam par Anne Berest… 

Je connais peu Londres,  j’y suis allée quelques fois dans ma vie et, toujours avec grand plaisir. A Londres, j’aime les couleurs londoniennes, j’aime que le noir soit une couleur présente, le  rouge très rouge, le vert très vert, c’est une ville dont la chromique me plait.

Ensuite, mon endroit préféré est la National Portrait Gallery ou je vais à chaque fois que je visite Londres et également l’atelier de Francis Bacon. Voilà mon rituel londonien, d’autant qu’un jour dans mon exploration familiale, Londres jouera un rôle dans un prochain livre puisque certains de mes personnages de La carte postale (Janine et Gabriele) partent en Angleterre pour fuir les nazis.


Merci Anne Berest et au plaisir de vous retrouver avec les Français de Londres!


Une interview de Eva Zuili.


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